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Chers parents,

Je ne peux résister à l’envie de partager avec vous cette lettre d’une principale de collège qui parle si bien des enfants dits surdoués, précoces ou encore enfants zèbres. Elle réagit à l’émission “la maison des maternelles” de lundi dernier.

Restée anonyme, cette femme m’a touchée par son intelligence et sa justesse. Voilà qui renforce ma conviction profonde que l’Education Nationale bougera grâce à toutes ces belles personnes qui dans l’ombre sont présentes, écoutent, reconnaissent et apprécient (pour ne pas dire aiment) chaque élève tel qu’il est.

Merci au Docteur Olivier Revol de m’avoir mis ces lignes sous les yeux et d’encourager au partage.

“Vingt minutes de télévision pour dire aux parents que c’est un bonheur d’avoir un enfant surdoué… L’émission les Maternelles qui laissait la parole au Docteur Wahl, pédopsychiatre, mettait en exergue la facilité d’avoir ce type d’enfant au motif qu’il n’est finalement pas tellement différent des autres. Quel leurre !
Certes, je ne suis pas médecin et mon propos n’est pas de remettre en question les études, l’expérience et le regard de ce monsieur.
Toutefois, j’ai la chance de diriger un établissement scolaire, 1er et 2nd degré avec un projet spécifique sur ce que l’on nomme la précocité. D’aucuns reprocheront qu’il s’agit là d’une belle occasion d’augmenter les effectifs avec un projet racoleur. Ceux-là ne vivent pas le quotidien d’un établissement où les équipes pédagogiques mouillent la chemise plus qu’ailleurs.
Ceci posé, je suis d’accord avec le Docteur Wahl : avoir un enfant APIE est une chance. Des discussions intéressantes, des centres d’intérêt originaux, des interrogations sur le sens de la vie sans fin, une capacité à argumenter qui force l’admiration. Tout ceci est fort bon mais cela ne suffit pas.
J’ai du mal à comprendre que l’on puisse attester qu’ils ne sont pas plus angoissés que les autres, voire moins, lorsque dans la même phrase l’on précise qu’ils ont des tourments métaphysiques et qu’ils mesurent avant les autres les enjeux du bien et du mal. De façon toute personnelle, je me réjouis rarement d’être tourmentée.
Quant au fait qu’ils ne soient pas plus sensibles que les autres mais qu’ils aient plus de talents pour exprimer leur sensibilité, j’y vois un raccourci susceptible de les faire passer pour des comédiens.
Les statistiques réduisant à 1% d’échec au brevet ces élèves-là sont sans doute le fruit du décrochage scolaire tellement plus présent chez eux. Du coup, ils ne se présentent pas, scolarisés à domicile ou orientés sur une voie différente dans les meilleurs des cas.
Alors … je vous invite. Je vous invite à venir passer une journée, une semaine, un mois dans cet établissement. Vous pourrez y observer que ce que vous dites peut être vrai pour les plus petits : globalement ils arrivent à faire face aux exigences posées par l’école, parfois avec douleur cependant.
Vous verrez que les choses se compliquent au collège.
Vous verrez que la chaîne alimentaire du monde animal les fait pleurer à chaudes larmes, vous observerez qu’il mettent du temps à se remettre d’une dispute avec leur meilleur copain et qu’ils sont bien incapables de faire l’exercice de maths demandé tellement ça les parasite. Jouent-ils la comédie ? Je veux bien le croire concernant l’exercice de maths mais quid de la chaîne alimentaire ?
Du coup, vous verrez des enseignants prendre du temps pour leur expliquer, temporiser “On va traiter ça à 11h, pour l’instant on fait des maths.”, rester à midi, le soir pour discuter avec eux, pour les rassurer, pour leur imposer de travailler parce que le sens de l’effort … ils ne l’ont pas, contrairement à la curiosité qui leur est plus innée. Vous verrez ces enseignants prendre du temps pour les faire écrire quand ils refusent tant ils ont peur de laisser une trace, s’opposer quand ils débordent. Peut-être, simplement, leur apprendre la vie.
Vous verrez des professeurs parfois épuisés par ce quotidien mais heureux de leur être utiles, heureux de partager avec eux.
Vous verrez des parents agressifs parce qu’ils ont peur pour leur enfant qui ne fonctionne pas comme les autres, peut-être aussi parce qu’ils rejouent leur histoire scolaire durant laquelle ils n’ont pas été compris, vous les verrez lutter pour être entendus.
Vous verrez une équipe pédagogique chercher avec eux plutôt que contre eux, discuter, imposer, parler, tenir compte…
Vous verrez que non, ils ne sont pas tous heureux et que leurs tourments métaphysiques les amènent, plus que d’autres j’en témoigne, à remettre en question leur existence, et qu’ils soient dyslexiques, TDAH ou dyspraxiques en plus ne change rien à l’attention que nous leur devons parce que nous avons décidé de travailler avec eux et de les accompagner au mieux.
Je me réjouis, docteur, que vos petits patients entrent dans les cases et dans le flot de vos statistiques mais je me réjouis plus encore que certains de vos collègues qui travaillent le sujet depuis des années comme le docteur Revol, reçoivent des jeunes depuis longtemps, se tiennent disponibles pour les enseignants ou éducateurs que nous sommes afin d’avancer ensemble sur des pistes innovantes. Le mot important dans la phrase précédente est ENSEMBLE. Ces médecins ou psychologues ont l’humilité de reconnaître que nos métiers sont différents et qu’ils n’ont pas à faire face à vingt-cinq ou trente personnes mais à une seule qui est donc leur patient. Dans une classe nous accompagnons vingt ou trente impatients. Le regard est donc très différent, la posture et les besoins également.
Et pour vous être agréable, puisque les statistiques semblent votre carburant, je me permets de vous adresser les miennes :
Sur les 600 élèves que j’ai l’honneur d’accompagner dans les apprentissages, 35% de collégiens et 65% d’écoliers. Au total, 28% soit 168 élèves sont identifiés “précoces”, “haut-potentiel” ou “surdoué”. Ils ont passé le test psychométrique qui l’atteste.
A la fin du collège, sur les 9,33% que représentaient les 3e, le taux d’échec de 5% ne concernait pas ces élèves. Nos APIE ont globalement réussi !
Et je gage que c’est précisément parce que nous avons tenu compte de leurs spécificités, de leurs particularités et qu’ils se sont sentis reconnus, appréciés, oserai-je dire aimés, dans un établissement prêt à y mettre une énergie peu commune mais nécessaire.
Oui, les « précoces » heureux existent et tant mieux mais j’avais besoin de vous dire que ceux qui peinent sans trouble associé et que vous semblez balayer d’un revers de statistique méritaient mieux que vingt minutes de télévision pour dire qu’ils n’existaient pas.
Venez, vous verrez !”

Pour voir ou revoir l’émission mentionnée dans cette lettre : https://www.france.tv/france-5/la-maison-des-maternelles/288225-mon-enfant-est-il-precoce.html