Il y a quelques mois, je partageais le déjeuner avec les élèves de l’école Montessori dans laquelle je travaille. Alex et moi étions seuls à une table, un peu à l’écart des autres enfants, lorsqu’il se lance d’un ton décidé :

  • ” Gersende, j’ai quelque chose à te dire.”
  • ” Je t’écoute. “

Petit silence. Puis, en riant, il me dit :

  • ” Non ! Je peux pas. C’est trop triste. “

Je lui réponds en souriant :

  • ” Et tu as peur de me faire pleurer ? Tu sais, parfois, il y a des choses qui ne sont pas faciles à dire. Cela demande du courage, mais c’est souvent mieux de les dire. Tu veux que je t’aide ? “

Il dit oui de la tête.

  • ” Comment sais-tu que je vais être triste ? Au fond, tu n’en sais rien. Peut-être que si tu penses que je vais pleurer, cela veut dire que c’est une histoire qui te rend triste, toi ? “

Et là, son menton tremblote, ses yeux s’inondent et il lâche en pleurs :

  • ” Je crois que je n’aime pas mon papa. “

Je le prends sur les genoux en face à face pour le consoler. On est resté un petit moment comme ça. Nous étions très émus tous les deux. Je sentais son cœur battre à 100 à l’heure contre le mien. Quand j’ai senti qu’il se calmait un peu, nous nous sommes regardés droit dans les yeux. Il a essuyé ses larmes et je lui ai dit :

  • ” Tu sais, Alex, tu as le droit de ne pas aimer ton papa. Moi, je me souviens parfois quand mon papa me grondait. Je ne l’aimais pas beaucoup sur le moment. C’est ok. “

Il se réfugie à nouveau dans mes bras un petit moment et puis je reprends :

” Tu sais, les émotions sont des choses compliquées que même les grandes personnes ont du mal à comprendre et à utiliser. Parfois, les émotions se déguisent ou elles se cachent. Tu veux que je te dise ce que je crois ?”

Il me fait oui de la tête, le pouce en bouche.

” Moi, je pense que derrière cette grosse tristesse que tu me montres là, se cache beaucoup d’amour en fait. Tu comprends ? Si tu es triste à l’idée de ne pas aimer ton papa c’est que tu l’aimes beaucoup. Sinon, tu t’en ficherais de ne pas aimer ton papa.

Je pense aussi qu’en ce moment, tu grandis très vite et tu es peut-être en train de passer une étape très importante. Tu veux que je te raconte ?”

oui de la tête.

” Tous les petits garçons, quand ils viennent au monde, tombent très amoureux de leur maman parce que l’amour d’une maman est très fort. C’est un amour infini et unique. Et puis, tu es resté quand même neuf mois dans son ventre et pendant ce temps-là, ta maman et toi, vous ne faisiez qu’un.

Mais c’est aussi pour ça que tu ne peux pas te marier avec ta maman. ”

Et là, les larmes coulent à nouveau : « – Oui je sais, elle est déjà mariée avec papa. ”

  • ” C’est juste, mais ce n’est pas seulement parce que maman est mariée avec papa que tu ne peux pas te marier avec elle. Il existe des petits garçons qui ne connaissent pas leur papa et ils ne peuvent pas se marier avec leur maman pour autant.

Il est interdit de se marier avec sa maman parce que c’est elle qui t’a donné la vie. Vous êtes du même sang. Et si les petits garçons font des bébés avec leur maman, elles mettraient au monde des bébés handicapés ou idiots. Nous, on veut des enfants en bonne santé. C’est pour préserver l’espèce humaine qu’il est interdit de se marier avec sa maman. Tu vois, quand tu seras plus grand, tu pourras trouver la personne avec laquelle faire des bébés, comme papa a trouvé maman pour faire un bébé : toi ! En lui pointant son cœur du bout du doigt.

Tu sais, papa aussi, il a dû renoncer de se marier avec sa maman. Il a dû partir vivre des aventures pour rencontrer ta maman et te donner la vie.

Un jour, quand tu seras prêt, tu accepteras le fait que tu ne peux pas te marier avec ta maman. Alors, tu découvriras tout l’amour que tu as aussi pour ton papa. C’est un amour différent. Il est très beau et très fort aussi mais il arrive plus tard.”

Il est resté sur mes genoux, en silence, encore un petit moment, comme pour se recharger et laisser ses émotions et ses pensées faire leur chemin. Puis, il est parti à la récré avec ses copains.

Deux semaines plus tard, Alex me croise dans les couloir. Il s’arrête devant moi et me dit :

” Tu sais quoi ? T’avais raison. J’aime beaucoup mon papa!”

Qu’est-il important de retenir dans de cette histoire ?

1/ Donner l’autorisation de ne pas aimer

Cela peut sembler mal de ne pas aimer son papa mais la culpabilité ne l’aidera pas à avancer. Commencer par lui dire qu’il a le droit de ne pas aimer son papa en prenant un exemple personnel, ouvre la porte d’entrée aux messages que vous allez lui transmettre par la suite. (même si je n’avais aucune idée, sur le moment de ce qui allait suivre !)

D’autre part, si vous cherchez l’amour de votre enfant lorsque vous faites preuve d’autorité peut être un magnifique sujet de coaching parental.

2/ Être à l’écoute des émotions. L’aider à les ressentir pleinement pour mieux les comprendre.

Plonger franchement avec lui dans son torrent émotionnel. Pour ces tout petits, les émotions sont vécues intensément. Venir avec lui dans sa tristesse, c’est lui en faciliter la traversée en lui tenant la main. Il n’y a qu’en traversant les émotions pleinement qu’on peut toucher le coeur du sujet, au sens propre, comme au sens figuré!

Partir de ce qu’il ressent ou de ce qu’il dit ressentir permet de reconnaître les émotions, de les nommer et de les valider ou de les invalider. Ensuite, si possible, les lui expliquer. Exemple ici : Parfois les émotions se cachent et se déguisent. Si tu es triste à l’idée de ne pas aimer ton papa c’est que tu l’aimes beaucoup, sinon, tu t’en ficherais de ne pas aimer ton papa.

Si vous ne passez pas par le point 1 et le point 2, l’enfant n’est pas en conditions d’entendre votre message car s’il se sent coupable, la porte est fermée. S’il est pris dans son torrent émotionnel et que vous restez sur le bord du rivage pour lui expliquer, le torrent fait trop de bruit pour qu’il puisse vous entendre.

3/ Parler vrai et lui transmettre les messages importants

En le consolant, au tout début, plongez! Mais plonger, le plus court instant possible, dans l’intellect pour saisir le seul message clé à lui transmettre. Le chemin mental que j’ai fait ici, c’est : #petitgarçon, #jaimepasmonpapa, #complexedoedipe. Dans ce cas précis, mon message clé, c’était : il est interdit de se marier avec sa maman. Mon intention : Je vais lui expliquer pourquoi, de façon rationnelle avec les mots qu’il comprend mais sans l’infantiliser.

4/ Garder le cœur grand ouvert pour accueillir ce qui est là

Le plus important dans cet échange, sont les silences. Laissez le faire son chemin avec ses pensées et ses émotions et pendant ce temps, faites le point avec les vôtres et touchez ce que vous ressentez. A un moment, vous sentirez que le vacarme du torrent emotionnel s’est calmé pour laisser place à un petit chemin de campagne bucolique que vous pourrez emprunter tous les deux pour délivrer votre message clé dans les meilleures conditions.

Et puis, surtout faites confiance aux mots qui vont surgir car n’est-ce pas dans ces moments-là, que nous parlons vrai ? Lorsque nous nous surprenons nous-même de ce que nous sommes en train de raconter ?